From time to time I revisit Gus van Sant’s movie Elephant. I think of it as a brilliant artwork, definitely his best. The characters, the composition, the poignancy of the argument… though he mastered them all what really captivated me was the animal theme and the symbolism behind its use. I remember reading an article about it and never being able to find it again. I encountered it today, by chance, so here it is:
ELEPHANT : un film animalier
Le titre du film
Le titre du film ELEPHANT est au départ une référence consciente au téléfilm du même nom réalisé par le cinéaste (depuis disparu) Alan Clark sur la violence en Irlande du Nord (un titre évoquant aussi l’impossibilité pour un aveugle à se représenter la forme d’un éléphant). Le titre ELEPHANT est aussi une référence à la mascotte des Républicains aux USA: l’éléphant. Gus Van Sant avoue : ” On s’est amusé avec la dimension politique que peut représenter le titre, et donc sa charge satirique envers, bien sûr, l’aspect aliénant du système d’éducation américain. (.) Elephant, c’est ce qui se voit comme le nez au milieu de la figure, mais ce que tout le monde souhaiterait bien occulter. ” (1)
Mais nous pouvons aussi décrypter le titre ” ELEPHANT ” (“ENFANT”?) en tant que symbole culturel, voire parfois cultuel. Ainsi, il ne s’agirait pas d’oublier que l’éléphant est la monture du Dieu de la Foudre Indra (on entendra dans le film la foudre gronder avant le massacre). C’est aussi un animal aux grandes oreilles (Alex, le tueur, souffre de surdité lors de la scène de la cantine et toute la bande sonore du film se décompose de résonances et de réverbérations très sensibles). C’est aussi ” l’éléphant spirituel et sacré ” (le Christ) qui relève Adam après sa chute. L’éléphant est cet animal que l’on dit sage, sans agressivité et solidement ancré au sol ; dans les rêves il représente une réalité terrestre avec laquelle certaines personnes n’arrivent pas toujours à garder le contact.
Bref, autant d’éléments en rapport direct avec le récit et l’esthétique de ELEPHANT de Gus Vant Sant. Un titre pour le moins emblématique des figures animales qui traversent son film : un sweat-shirt représentant une tête de tigre, un T-Shirt jaune représentant un taureau noir, un chien sautillant au ralenti, un éléphant représenté en croquis sur le mur de la chambre des tueurs, le son d’oiseaux pendant la tuerie dans les couloirs du lycée et la scène finale dans la chambre froide remplie de viande animale. Il fallait donc prendre ELEPHANT dans son sens premier : un film animalier. Nous ne sommes pas dans une ménagerie gitane à la Kusturica, mais dans une impossible Arche de Noé déguisée en lycée. Un parc animalier aux accents apocalyptiques. Un retour au monde sauvage.
Le lycée comme un zoo
LE TIGRE. Michelle est une jeune fille timide et rondelette, et visiblement complexée dans les vestiaires. Elle ne semble pas assumer sa féminité. Elle fait figure de garçon manqué. Gus Van Sant nous la présente pour la première fois portant un sweat-shirt sportif arboré d’un tigre (l’emblème même du lycée mais que seule, elle, porte). On sait que le tigre a pour particularité dans les rêves et les mythes d’être un félin gracieux et puissant : tour à tour féminin (longs cils autour des yeux) et masculin (grondement grave). C’est aussi la bête noire rampante (Michelle rase les murs) des premiers hommes, autre retour aux peurs primaires et barbares. Gus Van Sant nous indique la nature foncièrement hybride de Michelle. Mais la nature tout aussi hybride et sauvage des autres personnages.
LE TAUREAU. John est un blondinet habillé de jaune. Cet ange blond marque l’esthétique du film (une sorte de cousin de Tazzio ?) et la mémoire des personnes ayant vu le film (les images illustrant par exemple les critiques de film parues sur ce film mettent presque toujours en valeur ce blondinet). Lui aussi fait figure d’hybride. Car en effet, son T-shirt si particulier y fait représenter un taureau noir sur fond jaune (2) et l’on connaît l’attachement de Van Sant pour les costumes, notamment dans Prête à Tout (1995) avec Nicole Kidman. Le contraste est fort (phrase reprise d’ailleurs dans le film) et nourrira l’esthétique entière du film. Taureau rappelant les peintures pariétales et à la fois symbolique de vie et de mort, on ne voit littéralement que cela lorsque Gus Van Sant filme John déambulant dans les labyrinthes du lycée.
John, l’ange taureau
John est ainsi une sorte d’ange taureau (dont l’écho se fera à la fin avec Benny, son double, jeune noir au T-shirt jaune). Une créature hybride, voire androgyne, que nous soupçonnons un moment d’être le tueur (Gus Van Sant insiste sur lui dans le premier mouvement du film comme s’il s’agissait de son héros principal). Les apparences sont trompeuses (il sera d’ailleurs question d’apparence dans un débat lycéen du film) : le simulacre de l’image est ici au cour.
Ce jeune homme taureau serpentant dans les labyrinthes rappelle alors inévitablement le mythe même du Minotaure. L’origine de la représentation. Retour aux sources des légendes initiatiques (et de l’art pariétal). Questionnement alors de Gus Van Sant sur ” Comment évoluent les mythes et les contes aujourd’hui ? ” mais aussi ” Qu’est-ce qu’une image ? ” et ” Comment la jeunesse vit-elle avec les images ? ” Comment sont-ils piégés par elles comme dans un labyrinthe de signes ? – pas étonnant de voir ainsi plusieurs scènes se dérouler dans la chambre noire du lycée, Gus Van Sant scrute précisément la création photographique et l’imago.
Les 7 jeunes filles et jeunes garçons offerts au Minotaure sont représentés dans le film par les cartons (retour au cinéma muet) indiquant les noms de ces jeunes (muets ?) – liste létale d’une morte annoncée, ils sont comme jetés aux lions. Les cartons sont autant de plaques mortuaires, de tombeaux ouverts. Gus Van Sant détourne le mythe du Minotaure et questionne une époque, ou plutôt : la représentation d’une époque. Dans le monde décrit dans ELEPHANT, les enfants ne sont plus uniquement les chassés, il sont aussi les bourreaux.
Les Trois Petits Cochons
La présence du conte et de l’animal se poursuit et s’achève jusque dans la dernière scène, tournée dans la chambre froide des cuisines du lycée. Et sur une contine détournée en air de croquemitaine. Alex a passé plusieurs portes pour trouver deux amoureux dans une chambre froide. Comme dans Les Trois Petits Cochons (et SHINING de Kubrick, 1980), il traverse les portes. Alex pointe son arme sur le couple amoureux et récite: ” Amstramgram, pic et pic et colegram, bourre et bourre. Si tu prends un tigre par la patte. et qu’il bouge. laisse-le filer. ” Des morceaux d’animaux froids pendent au fond alors que les jeunes amoureux sont laissés hors champ, déjà ” disparus. ” Les corps en mouvement constant du début du film se gèlent. Le zoo est mort.
text by Alexandre Tylski. Continue reading here